L’opposabilité du principe de prévention aux permis de construire soumis à étude d’impact

Les permis de construire soumis à étude d’impact doivent prévoir les mesures dites « ERC » destinées à éviter les incidences négatives notables du projet sur l’environnement, à réduire celles qui ne peuvent l’être et à compenser celles qui ne peuvent être ni évitées ni réduites. Le Conseil d’État, dans un arrêt rendu le 30 décembre 2020, étend ainsi l’opposabilité du principe de prévention prévu à l’article 3 de la Charte de l’environnement (loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005) aux permis de construire soumis à évaluation environnementale.

I. Le principe de prévention et la démarche « ERC »
Le principe de prévention figurant à l’article 3 de la Charte de l’environnement a été retranscrit par le législateur à l’article L. 110-1, II, 2° du Code de l’environnement qui prévoit que ce principe « implique d’éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu’elle fournit ; à défaut, d’en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n’ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées. Ce principe doit viser un objectif d’absence de perte nette de biodiversité, voire tendre vers un gain de biodiversité ».

Le principe de prévention s’applique ainsi au travers d’une démarche comportant trois étapes : « E » éviter les atteintes, « R » réduire celles qui ne peuvent être évitées et « C » compenser celles qui ne peuvent ni évitées ni réduites dans les conditions fixées aux articles L. 163-1 à L. 163-5 du Code de l’environnement. Si les atteintes liées au projet ne peuvent être ni évitées, ni réduites, ni compensées de façon satisfaisante, celui-ci n’est pas autorisé.

L’article L. 122-1-1, I du Code de l’environnement, relatif à l’évaluation environnementale, prévoit également que « la décision de l’autorité compétente est motivée au regard des incidences notables du projet sur l’environnement. Elle précise les prescriptions que devra respecter le maître d’ouvrage ainsi que les mesures et caractéristiques du projet destinées à éviter les incidences négatives notables, réduire celles qui ne peuvent être évitées et compenser celles qui ne peuvent être évitées ni réduites. Elle précise également les modalités du suivi des incidences du projet sur l’environnement ou la santé humaine ».

II. L’opposabilité de la démarche « ERC » aux permis de construire soumis à évaluation environnementale

Certains projets de travaux, d’ouvrages et d’aménagements donnent lieu à une évaluation environnementale incluant une étude d’impact.
Pour ces projets, l’étude d’impact constitue une pièce obligatoire de la demande de permis de construire (C. urb., art. R. 431-16) et l’arrêté doit comprendre en annexe un document comportant les éléments mentionnés au I de l’article L. 122-1-1 du Code de l’environnement (C. urb., art. L. 424-4), c’est-à-dire les prescriptions que devra respecter son bénéficiaire, les mesures et caractéristiques du projet destinées à éviter les incidences négatives notables, réduire celles qui ne peuvent être évitées et compenser celles qui ne peuvent être évitées ni réduites, les modalités du suivi des incidences du projet sur l’environnement ou la santé humaine.

Dans l’arrêt commenté, le maire de Strasbourg avait délivré un permis de construire en vue de la réalisation d’un ensemble immobilier soumis à étude d’impact. Ce permis de construire avait été contesté par une association dont le recours avait été rejeté [1].

L’association se prévalait de l’article R. 122-14 du Code de l’environnement imposant la démarche « ERC » en prévoyant, dans sa rédaction applicable au litige, que « la décision d’autorisation, d’approbation ou d’exécution du projet mentionne :

/ 1° Les mesures à la charge du pétitionnaire ou du maître d’ouvrage, destinées à éviter les effets négatifs notables du projet sur l’environnement ou la santé humaine, réduire les effets n’ayant pu être évités et, lorsque cela est possible, compenser les effets négatifs notables du projet sur l’environnement ou la santé humaine qui n’ont pu être ni évités ni suffisamment réduits ;

/ 2° Les modalités du suivi des effets du projet sur l’environnement ou la santé humaine ;

/ 3° Les modalités du suivi de la réalisation des mesures prévues au 1° ainsi que du suivi de leurs effets sur l’environnement ».

Le tribunal administratif de Strasbourg avait jugé que la méconnaissance de ces dispositions ne pouvait être invoquée à l’encontre du contenu du permis de construire, commettant ainsi une erreur de droit pour le Conseil d’État :

« Il résulte de ces dispositions que, lorsque le projet autorisé par le permis de construire est soumis à une étude d’impact en application des dispositions du tableau annexé à l’article R. 122-2 du Code de l’environnement, notamment celles des lignes 36° et 37°, le permis de construire doit, à peine d’illégalité, être assorti, le cas échéant, des prescriptions spéciales imposant au demandeur, en plus de celles déjà prévues par la demande, les mesures appropriées et suffisantes pour assurer le respect du principe de prévention, destinées à éviter, réduire et, lorsque c’est possible, compenser les effets négatifs notables du projet de construction ou d’aménagement sur l’environnement ou la santé humaine et, d’autre part, les mesures de suivi, tant des effets du projet sur l’environnement que des mesures destinées à éviter, réduire et, lorsque c’est possible, compenser ces effets. Par suite, en jugeant que la méconnaissance de l’article R.122-14 du code de l’environnement ne pouvait être utilement invoquée à l’encontre du contenu d’un permis de construire délivré pour des travaux soumis à étude d’impact, le tribunal administratif a commis une erreur de droit ».

Le principe d’indépendance des législations ne s’oppose donc pas à ce qu’un requérant puisse se prévaloir de la méconnaissance de la démarche « ERC » à l’appui d’un recours dirigé contre un permis de construire soumis à étude d’impact.

Cette décision est à mettre en rapport avec l’arrêt « Commune de Villiers-le-Bâcle » du 9 juillet 2018[2] par lequel le Conseil d’État avait jugé opposable le principe de prévention et la démarche « ERC » à une déclaration d’utilité publique : « si les travaux, ouvrages ou aménagements que ces actes prévoient le justifient, ces derniers doivent, à peine d’illégalité, comporter, au moins dans leurs grandes lignes, compte tenu de l’état d’avancement des projets concernés, les mesures appropriées et suffisantes devant être mises à la charge du pétitionnaire ou du maître d’ouvrage destinées à éviter, réduire et, lorsque c’est possible, compenser les effets négatifs notables du projet sur l’environnement ou la santé humaine ainsi que les modalités de leur suivi ».

[1] TA Strasbourg, 5 octobre 2017, n° 1601796 puis TA Strasbourg, 15 mai 2019, n° 1807151 après annulation du premier jugement par CE 6° ch., 21 novembre 2018, n° 416122
[2] CE, 9 juillet 2018, n° 410917

III. Application de la démarche « ERC » au permis de construire soumis à étude d’impact

Après avoir consacré l’opposabilité de la démarche « ERC » au permis de construire soumis à étude d’impact, le Conseil d’État écarte le moyen avec une motivation permettant d’illustrer les modalités pratiques d’exécution de l’obligation d’assortir l’arrêté de prescriptions.

Il énonce que, « d’une part, le pétitionnaire a intégré dans sa demande de permis de construire les mesures prévues par l’étude d’impact récapitulées dans ses pages 142 et 143 et visant tant à éviter, réduire et compenser les impacts du projet sur l’environnement et sur la santé humaine qu’à assurer le suivi de ces mesures.

D’autre part, l’autorisation d’urbanisme prévoit, à son article 5, que les prescriptions du 10 septembre 2015 mentionnées dans l’avis de la DDT-Service de l’environnement et gestion des espaces sont à respecter et les a annexées au permis de construire délivré et, dans son article 6, organise des interdictions d’usages sur l’emprise et des restrictions quant au passage des canalisations d’eau potable. Par suite, le moyen tiré de ce que le permis ne comporterait pas de prescriptions prises au titre de l’article R. 122-14 du Code de l’environnement doit être écarté ».

A retenir :
Pour tout permis de construire soumis à étude d’impact il est impératif de pouvoir justifier de la mise en œuvre de la démarche « ERC » jusque dans la rédaction de l’arrêté accordant cette autorisation. A défaut, le permis de construire sera entaché d’illégalité.

par Xavier Nguyen, Avocat au barreau de Paris